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Exploration de Delhi, 27 Avril - 01 Mai
Manoj et Prattiba me pretent leur chambre d'ami pour cette semaine. Ils profitent de leurs horaires de travail plus que decontractes pour me ballader de monument en monument pendant le reste de la journee. Ils me les presentent du plus ancien - le minaret Qutb Minar - au plus recent - le temple Akshardham et ses vingt milles sculptures. Nous parcourons la ville en voiture dans tous les sens: le New Delhi spacieux et ordonne, le Old Delhi aux ruelles encombrees, les quartiers chics, les banlieues pauvres...
Avec deux emplois dans le secteur informatique, une petite voiture coreenne et un appartement tout neuf dans la banlieue sud de Delhi, on peut dire que Manoj et Prattiba sont plus favorises que leurs compatriotes. Leurs parents ont pu leur payer une education et les ont maries, comme souvent dans les familles de classe moyenne, en passant une annonce. Les indiens ont en effet une approche moins romantique que la notre quand il s'agit de mariage. Lorsque leur enfant entre dans la vie active et beneficie d'une situation a peu pres stable, ils se mettent a la recherche d'eventuels conjoints sur des criteres de caste et de statut social. Les familles se rencontrent puis, si tout se passe bien, preparent le mariage. Bien entendu de nos jours les futurs maries peuvent peser sur la decision mais la plupart s'en remettent docilement au jugement de leurs parents: leur entourage a toujours procede ainsi et les 'love mariage' demeurent bien rares en dehors des films bolywoodiens. Nous retrouvons un soir le pere de Prattiba dans un restaurant chic de la capitale. But de la visite: passer en revue une serie de candidates pour son frere qui vient de terminer ses etudes. Photos couleurs et dossiers passent de main et main comme lors d'une reunion de la CIA.
Au bout de quatre jours ils me fournissent des cadeaux souvenirs et un grand nombre de recommandations avant de me relacher dans la jungle urbaine. Direction la gare de Old Delhi.
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Allahabad et Varanasi, 01-06 Mai
Situe au confluent du Gange et de la Yamuna, Allahabad accueille tout les douze ans le Kumbh Mela, plus grand rassemblement humain de la planete pendant lequel des millions d'hindous devots envahissent les berges des deux fleuves. En dehors de ce remarquable evenement point de touristes dans les rues mais simplement la panoplie habituelle de commercants, d'artisans et de restaurateurs. Les autoricksaws de la ville, plus volumineux qu'a Delhi, se livrent concurrence a coup de musique aigue et de couleurs vives. Ils m'accueillent chaleureusement a bord, serre contre une dizaine d'autres passagers, puis me demandent triple tarif a l'arrivee.
Varanasi qui ne voit pourtant passer que le Gange est encore plus sacree: les indiens croient que mourrir dans la ville de Shiva leur assurera une vie meilleure lors de leur prochaine incarnation. Les hommes d'affaires locaux fournissent bois, fleurs et pretres pour les ceremonies. De nos jours pourtant on trouve bien plus de touristes que de cremations sur les quais. Je suppose que les familles desirant un minimum d'intimite s'eloignent de quelques kilometres.
"Tu veux faire un tour en bateau? Pas cher! Pas cher!"
"Euh non merci pas aujourd'hui."
"Photo interdite!"
"Oh desole. Pourquoi?"
"respect des morts. Tres mauvais pour eux s'ils sont pris en photo."
"Mais pourtant d'ici on ne distingue que quelques flammes au loin alors que j'apercois la bas une foule d'indiens prenant des photos au flash..."
" Mais eux c'est different. Ils ont demande l'autorisation. Ce mort est un musicien tres celebre. Beaucoup de journalistes ce soir. Ca te dit un tour en bateau pour mieux voir? Pas cher, pas cher!"
La mort d'un individu genere moins d'emotions qu'en Europe car il ne fait que quitter son enveloppe physique pour rejoindre la suivante dans son cycle infini d'incarnations. Cela prive le corps du defunt d'une quelconque valeur sentimentale: il peut etre brule puisque son ame l'a abandonne. Une tombe n'aurait aucun sens car le mort poursuit sa vie quelque part ailleurs.
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Bodhgaya, 07-14 Mai
C'est dans le village de Bodhgaya au centre du plus pauvre etat indien que le prince Siddharta Gautama aurait atteint l'illumination il y a 2600 ans en devenant de ce fait Bouddha. Chaque communaute bouddhiste a construit son temple dans les environs: Bodhgaya est un plaisant melange de campagne indienne et de moines etrangers. Loin du chaos des grandes villes, le visiteur y trouve une ambiance peut-etre spirituelle, en tout cas detendue. Je loge dans une chambre du temple tibetain. A l'exception de deux touristes allemands mes plus proches voisins sont des bonzes. De toute facon la plupart des chambres sont vides en cette saison, il fait decidement trop chaud.
J'ai la chance de rencontrer des mon arrivee une adorable famille avec qui je vais partager un grand nombre de repas et d'aventures dans les jours qui suivent. Navin et Vinay ont appris l'anglais aupres de moines vietnamiens; ils m'invitent chaque soir a diner avec le reste de la famille. Lorsque l'electricite est disponible deux ampoules et un ventilateur vetuste mettent un peu d'ambiance dans leur piece a vivre. Le riz et les lentilles servis dans des recipients metalliques sont accompagnes de chapatis tout chaud et selon les jours d'une poignee d'haricots verts, de quelques patates sautees ou de morceaux d'aubergines.
Ils vivent a sept dans les trois petites pieces d'une maison qu'ils louent 600 roupies - environ 10 Euros - par mois. A l'interieur leurs possessions se resument a quelques ustensiles de cuisines, trois couchettes en bambou et corde tressee, deux chaises en bois, une en plastique et enfin leurs habits. 
Dehors: deux velos pour leurs deplacements, deux buffles femelles, un jeune male et un nouveau ne. Les femelles sont traies chaque matin a 5h30 et leur rapportent 20 roupies par litre de lait. En ete ils peuvent compter sur 3.5 litres par bete et par jour alors qu'en periode de mousson cela monte a 5 litres. De plus elles accouchent chaque annee d'un nouveau ne. Un male sera revendu entre 3000 et 6000 roupies aux paysans du coin pour les travaux des champs. Une femelle, plus precieuse, vaudra entre 6000 et 12000 roupies selon la qualite de son lait. Ces gens la sont loins, tres loins de nos preoccupations!
Le vendredi je visite le village de Nawadih dont cette famille est originaire, a quinze kilometres de Bodhgaya. Nous nous y rendons en autoricksaw collectif mais il faut parcourir les trois derniers kilometres a pied sur un chemin de terre defonce. Bien sur la majorite des villageois n'avait jamais apercu de Blanc auparavant; ils interrompent leurs activites en m'observant comme si je debarquais de la planete Mars. Le village des musulmans etait situe aux abords de la route goudronnee et plutot tourne vers le commerce mais ici tous sont paysans hindous. Le quartier des Intouchables se trouve a cote de l'ecole gouvernementale abandonnee. On m'explique que dans l'Etat du Bihar les professeurs ne viennent jamais. Les habitants ont en revanche un projet d'ecole de couture pour les jeunes filles. Les villages environnants ne possedent ni competence ni equipement pour fabriquer des habits. Pourtant avoir des notions de couture, en plus des avantages materiels directs, constitue une qualite prisee pour de futures epouses. La tante de Vinay a pu suivre une formation sponsorisee par les moines a Bodhgaya et pourra donc y enseigner. Pour l'instant il n'y a que quatre murs de brique eleves en bordure du village et une machine a coudre que Vinay a recuperee par je ne sais quel artifice.
Je suis heureux de pouvoir donner un coup de main. Pendant les jours suivants je supervise avec Vinay la confection de la charpente en bambou, l'achat, l'acheminement et la pose des tuiles, la finition en boue sechee. Nous negocions un certain volume de bois de manguier et faisons venir trois menuisiers de Bodhgaya pour fabriquer et installer portes, tabourets et fenetres. Enfin nous achetons dans le quartier commercant de Gaya une deuxieme machine a coudre, un beau tapis rouge et de la petite quincaillerie: vis, ferrures, loquets et poignees. La facture de ces derniers jours s'elevent a 180 Euros dont 50 Euros pour la machine a coudre. En comptant le prix des briques prealablement installees, le batiment aura coute moins de 200 Euros; je vous laisse le soin de comparer aux prix de l'immobilier francais :P
Parfois je reste dormir au village installe sous les etoiles sur une banquette en bambou. Vers cinq heures le jour se leve et le village commence a s'animer. Les gens s'eloignent discretement dans les champs pour leurs besoins matinaux, un bol d'eau a la main. La premiere tasse de the de la journee est bue puis chacun entame ses activites exterieures, vite avant qu'il ne fasse trop chaud...
Au moment de partir vers la fraicheur de l'Himalaya je promets a tous de revenir bientot sur mes pas ne serait-ce que pour voir cette ecole qui n'est pas encore tout a fait terminee.
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Kurseong, 15-16 Mai
Mon train termine sa course nocturne vers le nord en gare de New Jalpaiguri, derniere ville avant la chaine de l'Himalaya. Ce centre urbain prospere grace au transit de marchandises vers le district de Darjeeling et le Sikkhim voisin mais ne presente aucun interet touristique evident. Ayant termine mon assiette de riz et de legumes je me mets a la recherche d'une jeep vers les montagnes ce qui est facile a trouver dans cette ville 'frontiere'. Mon sac est hisse sur le toit puis nous partons entasses a seize dans un Land Rover.
La route a ete defoncee en de nombreux endroits par les cours d'eau et les eboulements successifs. Apres deux heures d'ascencion nous arrivons a Kursong ou je decide de passer la nuit. C'est une bourgade pleine de vie perchee au sommet d'une montagne. En fin d'apres-midi une armee d'enfants en uniforme se deverse des ecoles; ils prennent d'assaut les jeep pour rejoindre les villages alentours ou bien partent a pied le long des nombreux sentiers zigzaguant a flanc de montagne. La multiplicite ethnique commence ici: les originaires du Sikkhim cotoient dans les rues les migrants nepalais, tibetains et bengalis. Le menu des restaurants de la ville atteste d'ailleurs ce melange.
De Kurseong j'embarque dans le 'train-jouet' construit par les anglais il y a plus d'un siecle et aujourd'hui classe au patrimoine mondial de l'Humanite. Mon voisin s'avere etre un ancien professeur d'anglais mais il me semble helas reconverti dans la consommation d'alcool. Il m'annonce que ce Darjeeling Express est la seule ligne deficitaire du pays. En effet les deux ou trois touristes presents ont achete un ticket a 10 roupies mais les autres passagers, principalement des ecoliers, montent et descendent a leur guise. Le train progressant lentement mais ne s'arretant jamais, cela necessite quelques acrobaties parfois perilleuses, souvent divertissantes. La locomotive crache une fumee noire qui se superpose au brouillard ambiant. De petites particules de charbon sont projetees vers l'arriere et s'invitent dans les deux voitures de passagers. La vue tout au long du trajet est bien entendu superbe.
Darjeeling, 17-19 Mai
Une fois arrive a Darjeeling une ruelle goudronnee m'envoie vers les hauteurs de la ville et ses hotels bon marche, le prix d'un etablissement etant ici inversement proportionnel a son altitude. Il me faut un quart d'heure d'ascencion ardue a chaque fois que je souhaite regagner ma chambre mais la vue depuis ma fenetre en vaut la peine. Dans ce quartier calme, les ruelles se transforment en sentiers et permettent de se retrouver a la campagne en un rien de temps. J'ai bien choisi!
Les familles aisees de Calcutta envahissent les rues de cette ancienne station brittanique surtout en cette saison ou les temperatures dans la plaine rabattent les vacanciers. Ils goutent a un air frais pour la premiere fois de leur vie - nous sommes a plus de 2000 metres d'altitude - en jouant avec enthousiasme au "montagnard": ils s'achetent un blouson, une paire de gants ou un bonnet, autant d'articles qu'ils pourront mettre a la poubelle en rentrant de conges. Quant a moi je commande chaque soir un seau d'eau chaude a la reception de mon hotel pour pouvoir prendre une douche dans des conditions acceptables.
Le plus agreable reste le the consomme aux premieres heures du jour devant le sommet enneige de Kanchenjunga - 8598m - juste avant que les nuages viennent gacher la vue. Cet endroit est propice a la lecture; j'y devore les recits des expeditions lancees a l'assaut du Mont Everest. C'est de Darjeeling que les huit premieres partirent en approchant le geant par le Tibet et sa facade nord. Puis au milieu du vingtieme siecle la situation geopolitique s'inversa: le Tibet tombe aux mains des chinois se ferma alors que le Nepal ouvrit ses frontieres aux etrangers. En 1953 Edmund Hillary et Tenzing Norgay, un sherpa etabli a Darjeeling, furent les premiers hommes a fouler le plus haut sommet terrestre.
J'obtiens mon Permis d'Entree pour le Sikkhim un jour de pluie battante. Le lendemain matin je redescends dans la vallee et franchis le poste frontiere de cet ancien royaume himalayen.
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