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Garmeh, IRAN, 13-14 Mars
13/03
J'acompagne Roberto jusqu'a l'oasis de Garmeh perdue dans le désert iranien. Notre bus ne va pas plus loin que Na’in, il nous faut continuer en stop. Je n’ai pas levé mon pouce depuis dix secondes que déjà un gros camion s’arrête. On nous laisse a la tombée de la nuit a hauteur d’un groupe de policiers qui contrôlent alors chaque vehicule en leur demandant leur destination. En quelques minutes ils trouvent une voiture pour nous amener jusqu'à l’hôtel de Garmeh!
Je discute avec un groupe d’étudiants Tehranis arrivés la veille. Les filles sont dévoilées. Tous parlent bien anglais, certains même français. C’est une occasion de plus pour discuter franchement de l’Iran et de son gouvernement. Toutes les opinions que j’ai eues jusqu'à présent concordent : au mieux les iraniens n’aiment pas leur gouvernement, au pire ils aspirent à un changement radical et cherchent à quitter le pays. « Nous en avons marre de ces règles strictes et inutiles. Ici nous pouvons nous comporter librement – Garmeh est une ‘oasis’ au sens figuré – mais ce genre d’endroit est très rare en Iran. » Ils sont bien entendu attachés a l’histoire et a la culture du pays, mais cela ne suffit pas à les retenir. Les plus riches et les plus diplômés émigrent au Canada, en Australie et en Angleterre. Beaucoup y ont déjà de la famille.
La force de la révolution islamique est d’avoir fait croire que le gouvernement des Mollahs équivalait au gouvernement de Dieu, puisqu’ils sont les descendants du prophète Ali. Cela satisfait les familles conservatrices non éduquées et empêche toute critique : « demander ouvertement un changement de système, cela revient à dire que Dieu n’est pas compétent. On risque la peine de mort pour ce genre de propos. »
Plus tard dans la nuit, assis en cercle, un livre de poèmes de Hafez passe de main en main. Ils lisent à haute voix les pages de droites contenant la version originale puis je m’occupe des pages de gauche contenant la traduction française. Ce poète du quatorzième siècle est encore aujourd’hui l’un des personnages les plus populaires du pays.
14/03
Maziar était roi dans une autre vie. Sa stature extraordinaire et sa grosse barbe grisonnante amènent le silence dès qu’il entre dans la pièce. Précédemment artiste a Téhéran, il a choisi de retourner dans son village afin de transformer sa maison de famille en cet hôtel convivial. Tehranis aisés et touristes occidentaux viennent s’y reposer quelques jours. Chaque soir, après le repas qui est pris tous ensemble, il joue de la musique avec sa famille et les invités volontaires.
Garmeh se prête bien au repos après l’agitation des grandes villes. On n’y croise que de paisibles villageois travaillant dans la palmeraie. Nous découvrons l’oasis dans son ensemble une fois arrivé au sommet de la montagne locale : un bouquet de palmier-dattiers, quelques maisons en terre et l’horizon dépouillé. Une 2CV singulièrement décorée vient d’arriver dans le village; Fabien et Coralie ont réussi leur traversée du désert!
Dadkin, IRAN, 15-16 Mars
15/03
Fabien et Coralie me proposent de parcourir les environs en voiture. Le frère de Maziar nous parle justement d’un bel endroit au pied des montagnes, un village abandonné à une vingtaine de kilomètres… Nous restons bouche bée devant la beauté du lieu! Les maisons désertées occupent plusieurs niveaux, elles sont entourées d’arbres en fleur et de petites terrasses cultivées. La source d’eau captée au pied de la montagne est canalisée jusqu'à chaque recoin du village. Nous installons le camp dans un modeste carré d’herbe bordé de murs en pierre et dormons sous les étoiles, dans un silence absolu.
16/03
La décision est prise de rester une nuit de plus dans ce paradis perdu. A midi nous retournons manger a Garmeh car nous avons l’intention d’y pécher certains des poissons qui peuplent la source. Après quelques veines tentatives avec la méthode du T-shirt et de la bouteille plastique, nous réussissons à en capturer seize avec une sorte de panier que je confectionne en cousant un vieux chiffon à des branches de palmiers. Quel fou rire lorsque nous avons attrapé le premier! Le soir nous les faisons frire sur une pierre plate préalablement chauffée au feu de bois. Une villageoise nous a également offert du pain et des dates, sans accepter quoi que ce soit en echange.
Vers onze heures Fabien écrase un petit scorpion qui s’était approché de notre feu. « Non les petits sont les pires justement. J’ai marché sur l’un d’eux en Afrique; j’ai boité pendant un mois. On va se coucher? »
>> acceder aux photos - Certaines photos de la série ont été prises par Fabien et Coralie, merci! Je recommande leur blog: www.noriaproject.com. A travers leur voyage Fabien et Coralie mènent l'enquete sur la gestion de l'eau en Asie.
Yazd, IRAN, 17-19 Mars
17/03
Je partage un taxi avec deux anglaises pour me rendre à Yazd. Le pays s’apprête à fêter la nouvelle année du calendrier iranien. Cela se traduit par treize jours fériés qu’ils appellent ‘No Ruz’. Beaucoup de familles sont déjà sur le chemin des vacances et pique-niquent au bord des routes.
Yazd est l’une des plus vieilles villes du monde et, à l’évidence, elle n’a pas changé depuis des siècles. Deux couleurs seulement: le brun des maisons en terre et le bleu du ciel et des mosquées.
A l’hôtel Silk Road je retrouve Mike rencontré un mois et demi plus tôt a Istanbul! Fabien et Coralie nous rejoignent dans la soirée. Nous commandons tous le plat local le plus banal: de la viande de chameau!
18/03
Lors de mon passage a Esfahan, j’avais mangé une glace avec un étudiant originaire de Yazd. Il me fait aujourd’hui visiter la ville en voiture avec son père. Nous montons au sommet de la mosquée Chakhmagh dont la majestueuse façade apparait régulièrement dans les guides touristiques du pays. On peut voir les toits de la ville à perte de vue. Chaque maison possède son ‘Bagdir’ : une tour a vent destinée a capter le moindre mouvement d’air et a l’amener rafraichir l’intérieur de la maison.
Des touristes visitent la ville en masse. Je n’ai jamais vu autant d’enfants en Iran! Les femmes s’arrêtent devant les vitrines de parfums et de bijoux. Nous passons au temple Zoroastrien, la religion de la Perse avant la conquête musulmane. Il ne reste aujourd’hui qu’une communauté de trois ou quatre cents croyants.
Amir et son père m’emmènent déjeuner dans leur famille. Comme toujours une toile cirée est étendue sur le tapis du salon et l’on prend place autour. Une fois l’estomac rempli chacun fait une petite sieste puis l’on sert le thé accompagné de fruits et de noisettes.
Le dernier mardi de l’année, les iraniens fêtent ‘Char-cham-be-su-ri’. Cela s’apparente à notre Saint-Jean : les habitants allument de grands feux un peu partout et les sautent en faisant un vœu. Des voitures de police parcourent les quartiers en ordonnant de les éteindre : cette fête païenne est officiellement interdite. Une foule de jeunes s’est assemblée aux intersections des grands boulevards. Ils manifestent leur excitation en lançant des pétards et des feux d’artifices.
19/03
La vieille ville de Yazd me rappelle la médina de Marrakech. On se perd dans ses innombrables ruelles bordées de hauts murs en terre. Les seuls habitants de ce labyrinthe sont des enfants qui regardent passer les étrangers avec curiosité.
Le musée de l’eau présente les systèmes mises en œuvre depuis toujours pour contrôler cette précieuse ressource : Yazd était à l’origine une modeste oasis au milieu du désert. L’eau était captée aux alentours et amenée dans chaque habitation par des canaux souterrains : les Qanats. La pièce la plus basse, deux niveaux sous le sol, est d’une fraicheur étonnante.
Fabien m’amène a la station de bus en soirée. Les passants regardent la Citroën décorée en rigolant et en prenant des photos avec leur téléphone portable.
Shiraz, IRAN, 20-25 Mars
20/03
Je suis endormi la tête contre mon sac lorsque Roberto me réveille en secouant mon épaule. Il vient d’arriver de Kerman. Nous plantons la tente dans le parc de Valiasr alors que le soleil se lève.
La nouvelle année débute aujourd’hui : cinquante millions de personnes sont en vacances. Les hôtels sont pleins et des voitures chargées de valises et de paquets sillonnent la ville. Shiraz est une destination très populaire car les touristes peuvent camper librement dans les parcs ou même sur les trottoirs; les Iraniens adorent ca.
Nous déjeunons chez Farshad, mon ange gardien pour les prochains jours puisqu’il me fera héberger et nourrir par ses différents amis. Il nous emmène en banlieue dans un repère d’étudiants ou nous passons la nuit.
21/03
Roberto et moi avons rendez-vous avec une australienne pour visiter Persepolis, les ruines de la capitale des Achaemenids vieilles de deux mille cinq cents ans. Le site est déja bondé à neuf heures du matin; certains avaient campé sur le parking ou aux alentours pour etre les premiers sur place. Les visiteurs défilent à travers les portes et colonnes de l’ancienne cité, devant des sculptures parfaitement conservées. Le tracé des palais est encore visible au sol. A quelques kilometres de la, les tombes des rois Achaemenids ont été creusées dans le flanc d’une montagne.
Je discute avec le chauffeur en rentrant sur Shiraz. “Mon frère est parti vivre à Dubaï et gagne maintenant bien sa vie. En Iran le travail ne paye pas meme si l’on est diplomé. Ceux qui ont beaucoup d’argent font de juteuses operations immobilieres, il n’y a que ca qui rapporte. Lorsque mes enfants termineront le lycee, je vendrai ma maison, ma voiture, mes meubles, tout, pour les envoyer étudier à l’étranger. Je ne veux pas qu’ils grandissent dans ce pays.”
Roberto rentre en Italie.
22/03
Said et son cousin viennent me chercher dans une Peugeot 405 flambant neuve. Ce modèle est encore fabriqué en Iran. Bien habillés, bien parfumés, ils appartiennent à la classe aisée de Shiraz. Leur grande famille est réunie à l’occasion de No Ruz ce qui fait que nous sommes douze personnes autour de la toile cirée pour déjeuner. Mon voisin est un professeur d’anglais très curieux. Il me donne sa vision de l’Iran et me dispense une leçon de poésie:
Bani Adam Aazaye Yekdigarand,
Ke darafarinesh ze yek goharand
Les fils d’Adam sont tous fait de la meme matiere précieuse
Le jour de la création ils etaient identiques
Sa niece me questionne ensuite au sujet de la religion:
“Ne crois-tu pas en Dieu?”
“Non”
“Mais qui t-a créé alors?”
“Ma mère”
“Qui a créé les choses vivantes qui t'entourent?”
“Le Big Bang”
“Pfff. Tu ne crois pas en une autre vie après la mort?”
“Non”
“Tu es fou. Au fait ca t’intéresserait de te marier avec une iranienne?”
C’est la troisième fois que je me vois proposer un mariage depuis mon arrivée dans le pays.
23/03
Je me réveille dans l’appartement de Mehdi, au fond d’une ruelle du centre ville. Assis devant la télé, je zappe jusqu’aux chaines francaises. “Mehdi tu me confirmes qu’il est officiellement interdit de regarder les chaines de télévision satellites?” “Oui” “Mais pourtant comme pour l’alcool, tout le monde le fait?” “Oui. Il suffit d’acheter au marché noir une parabole et un décodeur pour l’équivalent de vingt euros, et nous captons les chaines de quatre satellites différents.”
J’enchaîne quelques visites dans la vieille ville. Les paraboles sont invisibles lorsqu’on se promène dans les rues, elles sont installées sur les toits ou dans les cours intérieures des maisons. Les touristes ont monté leurs tentes n’importe ou, au bord d’un gros boulevard ou au pied de la forteresse. Une fois de plus, il n’y a que des fastfoods pour se restaurer.
24/03
Farshad enfile sa tenue de soldat et s’en va. Il effectue son service militaire dans un bureau de l’armée a traduire des documents anglais. Seulement lorsqu’il terminera en septembre pourra-t-il faire la demande d’un passeport. Comme les autres de son age, il n’a jamais pu voyager a l’etranger jusqu’a maintenant.
Moi j’enfile ma tenue de routard et m’en vais camper dans le parc Azadi parmi les touristes. Je passe l’apres-midi aupres des familles alentours a boire le thé ou a jouer au volleyball. Les Iraniens sont décidement les gens les plus accueillants qui soient.
25/03
J’achète mon ticket Bandar-e-Abbas / Dubai dans une agence de voyage. Le prochain bateau partira le 2 avril, je décide de rentrer ce soir a Yazd pour l’y attendre tranquillement. Alors que j’étais assis devant un bureau de poste fermé, un couple que je ne pensais pas revoir passe devant moi: Fabien et Coralie viennent d’arriver à Shiraz! Je retourne avec eux voir la tombe du vieil Hafez parmi une foule d’élégants vacanciers.
A la gare routière, j’obtiens un prix record pour mon trajet de nuit: 22500 Rials (1.6 Euros) pour parcourir 450 km a l’arrière d’un antique bus Mercedes.
Deuxieme sejour a Yazd, IRAN, 26 Mars-02 Avril
Une semaine s’écoule tranquillement au Silk Road Hotel, a l’ombre des deux minarets de la belle mosquée Jameh. Istanbul est la porte de l’Asie mais Yazd est son carrefour: je surveille le flux de voyageurs qui parcourent ce continent par voie terrestre. Certains partent vers le nord: Mashad puis le Turkmenistan; d’autres vers l’est: Zahedan puis le Pakistan; les derniers comme moi vers le sud: Bandar-e-Abbas puis Dubai. Tous sont réunis au Silk Road ou dans l’Orient Hotel voisin et bavardent sur les toits-terrasses jusque tard dans la nuit.
Je passe le deuxieme jour avec Julian, un bouddhiste anglais pour qui la crise de la quarantaine se traduit par un pélerinage jusqu’en Inde a bord d’un vieux minibus amenagé. Ensemble nous remplacons le radiateur et la courroie de distribution de son engin; il est pret pour quelques milliers de kilomètres de plus.
Deux autres anglais grands voyageurs, John et Gayle, donnent un coup de main au restaurant de l’Orient Hotel en echange du couvert et du logis. ”Si des inspecteurs débarquent dans l’hotel on vous dira ‘cheese’ et il faudra sortir de la cuisine comme si de rien n’était, compris?” “A quoi vous les reconnaitrez?” “Facile, ils auront une barbe.”
Bahram et Hamed deviennent mes compagnons de petit dejeuner. Leur vie n’est pas vraiment facile dans ce pays. Comme beaucoup d'autres jeunes diplomés ils ont initié des procédures pour émigrer au Canada et en Australie a travers une série de discrets entretiens dans des ambassades a Dubai et Damascus. Leur histoire est un roman d’aventures…
“Si les américains débarquaient en Iran, contrairement a l’Irak, ils seraient bien accueillis par la population.” “Vous pensez ca, mais est-ce que la majorité rurale et religieuse du pays dirait la meme chose?” “Difficile a dire.” “Les élections ne peuvent-elles pas changer quelque chose?” “Le pouvoir est aux mains des responsables religieux. Aujourd’hui c’est Khamenei qui dirige. Tous les candidats aux élections sont choisis par ces gens la alors entre un mauvais candidat et un tres mauvais candidat, qui devons nous élire? Les élections ne pourront jamais changer le système.”
Je passe aussi de bons moments avec Ali et Ghazel, un jeune couple de Téhéran en vacances. Le plus memorable reste notre virée dans le désert jusqu’au village de Kharanac ou nous explorons une forteresse abandonée en pleine nuit, c'est idéal pour se faire peur.
Mardi 01 avril marque la fin des vacances de ‘No ruz’. Les iraniens sont partis pique-niquer a la campagne comme le veut la tradition en abandonnant les rues de Yazd et ses magasins. Chacun reprend le travail le lendemain et commence une nouvelle année. Pour ma part je quitte ce beau pays par la mer, un mois après y etre arrivé. Le chauffeur de taxi m'amenant jusqu'a l'embarcadère préfère se concentrer sur la musique religieuse de son autoradio plutot que sur la conduite. Il lache le volant, lève les deux mains au ciel en jetant un coup d'oeil dans le retroviseur pour me voir et déclare jovialement "Allah Akbar!" Oui Dieu est puissant en Iran.
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